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La Comédiathèque - Editions théâtrales

Plus de 100 comédies contemporaines représentées sur les scènes du monde entier

Un bref instant d'éternité

Un bref instant d'éternité

Pierre, chercheur, vient de trouver le sérum de la vie éternelle. Conscient des conséquences imprévisibles d’une telle découverte, il est sur le point de renoncer à la rendre publique. Mais sa femme, qui rêve de garder pour toujours sa jeunesse, et son amant, qui voudrait vivre à jamais, ne sont pas disposés à un tel sacrifice...

ISBN 978-2-3770-5108-3
Octobre 2017 - 60 pages ; 18 x 12 cm ; broché.
Prix TTC : 9,90 €

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Lire le début

Un salon en partie transformé en laboratoire. Pierre, en blouse blanche, se livre à de mystérieuses expérimentations sur une table couverte d’éprouvettes et autres appareillages scientifiques. Une cage vide avec la porte ouverte trône aussi sur la table. Pierre éternue. Delphine arrive, un imperméable sur le dos.

Delphine – À tes souhaits...

Pierre – Merci. Tu as passé une bonne journée ?

Delphine retire son imperméable.

Delphine – La routine... Tu ne pourrais vraiment pas faire ça ailleurs ?

Pierre – Où ? Mon patron m’a interdit de continuer mes recherches au labo...

Delphine – On se demande pourquoi...

Pierre – Je n’en ai plus pour très longtemps, je t’assure.

Delphine – Je te rappelle qu’on mange, sur cette table. Tu vas finir par nous empoisonner !

Pierre – Je suis sur le point d’aboutir, je le sens.

Delphine – Un vaccin contre le rhume...

Pierre – Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ! Autrefois, tu croyais en moi...

Delphine – L’homme que j’ai épousé voulait révolutionner la médecine moderne.

Pierre – Va savoir... C’est peut-être ce que je suis en train de faire.

Delphine – En découvrant un remède définitif contre le rhume ? Mon pauvre ami... Même si tes recherches aboutissent un jour, tu ne crois pas décrocher le prix Nobel de médecine avec ça ?

Pierre – Ce n’est pas vraiment mon but, mais... pourquoi pas ?

Delphine – Attends, Pierre... On ne parle pas de la malaria ou du sida, là ! Personne n’est jamais mort d’un gros rhume !

Pierre – C’est un virus comme un autre.

Delphine – Oui, mais beaucoup moins dangereux... Il y a des problèmes sanitaires plus graves à traiter, non ?

Pierre éternue à nouveau.

Pierre – Tu dis ça parce que tu n’es jamais enrhumée. Tu dois avoir développé une forme d’immunité. Je me demande si ce n’est pas toi que je devrais prendre comme cobaye.

Delphine – Merci.

Pierre – Enfin, ma chérie, tu es une scientifique, toi aussi !

Delphine – Une scientifique ? Non... Moi, je ne suis que pharmacienne. Tu me le répètes assez souvent. Et pour toi, j’ai l’impression que pharmacienne, c’est à peine au-dessus d’épicière.

Pierre – Tu sais très bien que quand on fait de la recherche, on ne sait jamais vraiment sur quoi ça va déboucher. Un vaccin contre le rhume, ce serait peut-être une étape vers d’autres découvertes plus importantes.

Delphine – En tout cas, pour ce qui est du rhume, les pharmaciens ne te diraient pas merci.

Pierre – Pourquoi ça ? Ce serait vous qui le vendriez, ce vaccin, après tout !

Delphine – Bien sûr... Et pour chaque vaccin vendu, ce serait un client de perdu pour la vie.

Pierre – Les gens feraient des économies ! Ils se porteraient mieux et ils seraient plus productifs au travail.

Delphine – Oui... Et nous, on verrait notre chiffre d’affaires s’effondrer ! Tu sais ce que ça représente, pour un pharmacien, en hiver, les produits anti-rhume ?

Pierre – Et tu voudrais que je ne vous considère pas un peu comme des épiciers...

Delphine – Oui... Mais c’est avec les revenus de l’épicerie qu’on paie le crédit de la maison...

Delphine sort.

Pierre – Tu vois, Joséphine, on est des incompris tous les deux. Un jour, ils comprendront, tu verras. Ils regretteront de nous avoir traités avec un tel mépris. Mais il sera trop tard... On abandonnera tous ces pauvres mortels à leur triste sort, et nous on sera les rois du monde... (Exalté) Et quand je dis les rois... Je devrais plutôt dire les dieux ! (Revenant à la réalité) Tu ne dis rien, mais tu n’en penses pas moins, pas vrai ? Joséphine ? (Il jette un regard vers la cage.) Où est-ce qu’elle est passée, encore... (Il fait le tour de la pièce en appelant à voix basse.) Joséphine ? Viens un peu par ici, ma chérie...

Delphine revient, et il s’interrompt, comme pris en faute.

Delphine – Tu m’as appelée ?

Pierre – Non, non, je...

Delphine – Avec qui tu parlais alors ?

Pierre – À personne, je... Je me parlais à moi-même.

Delphine – Ça ne s’arrange pas... Au fait, tu ne vas pas le croire, mais j’ai vu un rat, hier matin, dans la cuisine.

Pierre (mal à l’aise) – Non...?

Delphine – J’ai même pensé à ramener mon revolver de la pharmacie...

Pierre – Tu as un revolver, à la pharmacie ?

Delphine – Mais oui, tu sais bien ! C’est Vincent qui m’avait conseillé d’en acheter un. J’ai déjà été braquée trois fois, tu te souviens ?

Pierre – Ah oui...

Delphine – Malheureusement, je n’arrive plus à remettre la main dessus.

Pierre – Perdre un revolver, ce n’est pas banal... Ce n’est pas le genre de trucs qu’on égare facilement... Ou alors tu te l’es fait braquer aussi...

Delphine – Ça ne me fait pas rire, Pierre. J’ai la phobie des rats, tu le sais bien. Je me demande comment celui-là a pu arriver ici...

Pierre – Oui...

Elle lui lance un regard soupçonneux.

Delphine – C’est bizarre, j’ai l’impression que toi, tu ne te le demandes pas.

Pierre – Si... Si, si, je t’assure...

Delphine – Tu n’as pas même l’air surpris...

Il hésite avant d’avouer.

Pierre – Pardon. C’est Joséphine.

Delphine – Joséphine ?

Pierre – Mon rat de laboratoire. C’est une femelle... Apparemment, elle a réussi à ouvrir toute seule la porte de sa cage. Elle est très intelligente, tu sais...

Delphine – Un rat ? Et tu l’appelles Joséphine ? Attention, Pierre, tu es en train de devenir complètement fou !

Pierre – Je l’ai ramenée du labo... Parfois j’ai l’impression que c’est la seule qui croit encore en moi...

Delphine – On dirait que tu parles d’une collègue... C’est un rat !

Pierre – C’est avec sa grand-mère que j’ai commencé mes recherches, il y a quelques années. Alors c’est vrai que je me suis un peu attaché à la famille.

Delphine – Ah, non ! Pas ça, Pierre. Je n’accepterai pas de vivre avec un rat en liberté chez moi sous prétexte qu’il fait un peu partie de la famille.

Pierre – C’est juste une petite escapade...

Delphine – Tu n’avais qu’à fermer la cage, bon sang ! À clef, si nécessaire ! Je te préviens, Pierre : je ne passerai pas une nuit de plus ici avec un rat en liberté !

Pierre – Ne t’énerve pas. Ce n’est pas si grave.

Delphine – Je m’énerve si je veux, d’abord ! Je suis à bout, je t’assure... Alors maintenant, ta Joséphine... C’est elle ou moi, d’accord ?

Pierre – Quand elle aura faim, elle finira par revenir dans sa cage. Ce n’est pas un animal qui a l’habitude de trouver sa nourriture tout seul. Je vais la retrouver, je t’assure.

Delphine – Oui, eh bien je ne sais pas dans quel état. Parce que faute de revolver, je lui ai mis du blé empoisonné à l’arsenic dans la cuisine, ce matin.

Pierre – De l’arsenic ? Mais c’est barbare ! Pauvre Joséphine... Et puis où est-ce que tu as trouvé de l’arsenic, d’abord ?

Delphine – Je te rappelle que je suis pharmacienne.

Pierre – Le haschich reste interdit en France, mais n’importe quelle femme peut se procurer un revolver, et l’arsenic est en vente libre en pharmacie ?

Delphine – Sur ordonnance, seulement. Mais heureusement, même si je ne suis qu’épicière, j’ai quand même droit à un ordonnancier.

Pierre – J’ai l’impression de vivre avec Madame Bovary.

Delphine – Madame Bovary n’a pas empoisonné son mari. Elle s’est suicidée. Tu confonds avec Thérèse Desqueyroux.

Pierre – Eh ben... Tu as l’air d’en connaître un rayon, sur les empoisonneuses.

Delphine – J’ai toujours préféré Mauriac à Flaubert. En tout cas, si je devais choisir, pour échapper à mon mari, je préférerais l’empoisonner lui plutôt que de m’empoisonner moi-même...

Pierre – C’est rassurant... Mais c’est que j’y tiens beaucoup, moi, à Joséphine.

Delphine – Oui, depuis pas mal de temps déjà, tu fréquentes davantage les rats de laboratoire que ta femme et tes amis.

Pierre – Eux, au moins, ils ne m’ont jamais déçu... Et puis je te signale que c’est sur ce cobaye que j’expérimente mon vaccin... Si tu l’as empoisonné, je vais devoir reprendre toutes mes expériences depuis le début...

Delphine – Je n’aurai pas la patience d’attendre jusqu’à la fin, de toute façon. Il faut te reprendre, Pierre. Je ne serai pas toujours là...

Pierre – Ah bon ?

Delphine – Ce n’est pas exactement ce que j’ai voulu dire, mais...

Pierre – Ne t’inquiète pas, je sais très bien ce que tu voulais dire.

Il sort un instant. Delphine a l’air d’être abattue. Pierre revient avec un bouquet de fleurs qu’il tend à Delphine, très surprise.

Pierre – Pour me faire pardonner de ne pas avoir été à la hauteur ces derniers temps...

Delphine (plus embarrassée que ravie) – Merci, mais...

Pierre – Ce soir, je t’emmène dîner dans notre restaurant favori. Celui où je t’ai demandé ta main, il y a...

Delphine – Non...?

Pierre – Tu n’as pas oublié quel jour nous sommes ?

Delphine – Ah, d’accord...

Pierre – Tu avais oublié notre anniversaire de mariage.

Delphine – Jusqu’à maintenant, c’est plutôt toi qui oubliais ce genre de choses...

Pierre – Eh bien tu vois... Les choses peuvent changer... Même moi, je peux changer...

Delphine (prenant les fleurs) – Merci...

Pierre – J’ai réservé pour neuf heures, ça te va, ou tu veux que j’appelle pour dire qu’on arrivera un peu plus tard ?

Delphine – C’est-à-dire que... j’avais proposé à Vincent de passer prendre un verre.

Pierre – Pour l’apéritif ?

Delphine – On pourra toujours aller dîner ensuite.

Pierre (ironique) – Avec Vincent...?

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